Programme Décembre 2021

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Antonín Dvorák (1841 – 1904)

Danses Slaves et pièces pour violoncelle (1878, 1886, 1892, 1893)

« C’est diablement difficile d’écrire deux fois la même chose ! » Antonín Dvořák à son éditeur, qui le presse de produire un second cahier de danses après le succès du premier en 1878.

     Antonín Dvořák compose ses Danses Slaves à la demande de l’éditeur Fritz Simrock, qui lui propose de s’inspirer des Danses Hongroises de son ami Johannes Brahms, que Dvořák a d’ailleurs en partie orchestrées. Une première série de danses voit le jour en 1878 (op. 46) alors que la seconde série (op. 72), plus réfléchie, nuancée et expressive, est
composée huit ans plus tard. Les deux recueils sont écrits pour piano à quatre mains, avant d’être orchestrés par Dvořák lui-même.
      Si le compositeur s’est à de nombreuses reprises inspiré des musiques traditionnelles, de Bohême ou d’ailleurs (il compose en 1877 une série de Danses écossaises), il ne se contente pas d’une transcription simple de danses existantes, comme Brahms avait pu le faire. Il en reprend en revanche fréquemment le caractère rythmique. Ainsi, l’op. 46 n°1, l’une des danses les plus vives de la série, est une furiant venue de Bohême, alternant des mesures à deux et à trois temps, tandis que le n°3 est une polka aux deux temps très affirmés. L’op. 72 n°2 mêle quant à lui une mazurka polonaise à une doumka ukrainienne, au caractère rêveur et lyrique, et le n°7, pièce la plus dynamique de la série, retrouve les éclats endiablés du premier opus à partir d’un kolo serbe.
      Les deux oeuvres concertantes insérées dans ce cycle sont, à l’instar des danses, l’occasion de constater la grande diversité de caractère de l’écriture de Dvořák. Le Rondo op. 94, divertissant et plein d’expressivité, est souvent considéré comme le « petit frère » du grand concerto pour violoncelle. Écrit en 1892 pour violoncelle et piano à l’attention de son ami Hanuš Wihan, également dédicataire du concerto, le Rondo est créé à l’occasion de la tournée d’adieu précédant son départ en Amérique. D’un caractère tout autre, plus contemplatif et éthéré, le “Silence de la forêt” est, à l’origine, une pièce écrite pour piano à quatre mains, tirée du cycle Dans la forêt de Bohême. L’oeuvre connait un grand succès en 1891 à l’occasion de son réarrangement pour violoncelle et piano, avant d’être orchestrée
par Dvořák peu de temps avant son départ, et devient ainsi l’une des pièces les plus jouées du répertoire pour violoncelle concertant.
      La diversité de l’orchestration de ces différentes pièces, d’une formation réduite aux cordes accompagnées de quelques bois solistes dans le Silence de la forêt à un orchestre complet faisant la part belle aux cuivres et percussions dans certaines danses slaves, alterne douceur, tendresse, nostalgie et éclats de joie pure, et souligne la richesse de la
palette orchestrale du compositeur.

Leonard Bernstein (1918 – 1990)

Danses symphoniques de West Side Story (1960)

« Tout le monde nous disait que [West Side Story] était un projet impossible… Et on nous disait aussi que personne ne serait capable de chanter des quartes augmentées comme celles de “Ma-ri-a”… que la partition était trop harmonique pour de la musique populaire… D’ailleurs, qui voudrait voir un spectacle dans lequel le rideau du premier acte se lève sur deux cadavres gisant sur la scène ? » Leonard Bernstein, au magazine Rolling Stone, en 1990.

      En 1957, la comédie musicale West Side Story, associant à la musique de Leonard Bernstein
les chorégraphies de Jerome Robbins et les textes de Stephen Sondheim dans une réécriture contemporaine et américaine de Roméo et Juliette, rencontre un succès retentissant, à tel point qu’une adaptation pour le cinéma est signée par Robert Wise en 1961. Dans l’intervalle, Leonard Bernstein tire du matériau musical originel une suite de
danses pour orchestre symphonique, dont il délègue l’orchestration à Irwin Kostal et Sid Ramin, un ami d’enfance également dédicataire de l’oeuvre. Tous les thèmes de la comédie musicale ne sont pas présents – le compositeur évacue ainsi les songs pourtant célèbres que sont « Tonight », « I Feel Pretty » ou « America » – et leur ordre est parfois
modifié. Bernstein cherche en effet avant tout à donner une cohérence nouvelle à sa pièce, qu’il construit autour d’une alternance de danses nerveuses et haletantes, combinant emprunts au jazz et à la musique latino-américaine, et de moments de respiration traversés d’un souffle lyrique particulièrement expressif.
      La suite des Danses symphoniques, écrite pour le concert, se compose de huit danses, évoquant huit scènes de la comédie musicale. Le « Prologue » illustre la rivalité opposant les Jets aux Sharks pour la domination d’un quartier de New York, sur fond de tensions entre jeunes Américains et jeunes Portoricains. « Somewhere » au contraire, incarne le
rêve d’un monde meilleur, où l’amour et l’amitié pourraient se déployer au grand jour, loin des tensions sociales. Le « Scherzo » évoque, dans la suite du même rêve, les divagations libres des jeunes gens issus des quartiers pauvres de New York dans une nature chaude et accueillante, tandis que le « Mambo » illustre le retour à la réalité comme à la
rivalité, cette fois sous la forme d’un concours-défi de danse. Le « Chacha » reprend le thème de la rencontre des amoureux issus des deux bandes rivales, Tony et Maria tandis que la fugue, faussement « Cool », met en musique l’électricité qui traverse le groupe des Jets à l’approche de l’affrontement avec les Sharks. Le « Rumble » entraîne la mort des deux chefs de bande, dont le frère de Maria, tué par Tony, lequel est à son tour assassiné, par vengeance. Le retour de « Somewhere » enfin, reprend l’espoir fragile d’un ailleurs apaisé, tandis que les deux bandes réunies autour de la douleur de Maria, portent en procession le corps de Tony.

Zoom sur… Mambo !
      Le Mambo correspond à la scène du bal de Roméo et Juliette. Il s’agit cette fois d’un concours de danse, opposant Américains et Portoricains, au cours duquel Tony et Maria se rencontrent. D’un genre musical né à Cuba dans les années 1930, Bernstein tire une danse nerveuse et rythmée, faisant la part belle aux cuivres et percussions, parmi
lesquelles bongos, cloches, woodblocks et congas occupent une place d’honneur, au service d’un des principaux tournants de l’intrigue. Sur un tempo très rapide (presto), Bernstein développe une formule rythmique tempétueuse, sans réelle mélodie, où se succèdent des motifs secs et heurtés, en permanence déstabilisés par des contretemps lapidaires, mettant en scène la rivalité toute en tension opposant les deux groupes de danseurs. L’orchestre est divisé en deux blocs : cordes et bois contre cuivres et percussions, qui se rejoignent parfois sur le motif homorythmique caractéristique de la pièce, interrompu par un « mambo ! » clamé par l’ensemble de l’orchestre.

Le mot du chef et soliste, Raphaël Merlin

« Le programme de ce concert est un miroir entre deux compositeurs ayant quelque chose en commun avec l’Amérique. Dvořák s’y est rendu en fin de carrière, Bernstein y est né et y a passé sa vie. L’un et l’autre sont d’origine est-européenne, l’un et l’autre ont un sens aigu de la danse et de l’énergie rythmique, qui se retrouve dans les Danses Slaves de Dvořák et chez Bernstein dans le florilège de danses plus ou moins urbaines et plus ou moins modernes que
comprend la suite West Side Story.
La juxtaposition de ces deux langages et de ces deux auteurs nous plonge aussi, d’un côté dans l’exaltation de la nature, et de l’autre en plein macadam. Il m’a semblé intéressant de faire ce trajet musical, de l’Europe à l’Amérique, de cette forêt de Bohême à une forêt de gratte-ciels. Les deux compositeurs se répondent et dans les deux cas, on retrouve une énergie assez folle. J’ai beaucoup aimé, dans le travail avec l’orchestre, chercher les puissants ressorts rythmiques qui permettent de porter l’oeuvre de Bernstein d’une part, et la suite symphonique avec violoncelle concertant de Dvořák d’autre part, que nous avons spécialement concoctée pour ce concert. ».